- Avant
la charnière des années 1970 qui lui permirent de forger et de
développer son langage le plus authentique, la question de la
création l'avait d'ores et déjà fortement mobilisé. Il
n'avait pas pour autant atteint l'étrange originalité dont il fait
preuve depuis une trentaine d'années. La production de sa première
époque réalisée pendant l'après guerre (natures mortes,
paysages) ne laissait pas présager un cheminement véritablement
inventif.
-
- Pour
tenter d'expliquer le basculement qui s'opéra dans son oeuvre
personnelle au milieu des années soixante-dix, il faut se souvenir
qu'un contexte beaucoup plus libertaire était en train de
s'affirmer dans les marges de nos provinces méridionales. Des
catalogues et des monographies étaient imprimés et diffusés, des
expositions d'art naïf ou d'art brut étaient programmées. L'une
d'entre elles, consacrée aux "Assembleurs", organisée
par Daniel Bizen dans le Var, au Couvent Royal de Saint Maximin,
provoqua un choc libérateur.
- L'âge
et l'expérience venus, Reynaud s'était lui-même affranchi de ses
propres inhibitions. De nouvelles amitiés, des artistes, des
critiques d'art, des vraies connaisseurs l'encouragèrent : F.
Altmann, Marie Morel, Lucien Henry, Jean-Claude Caire allèrent à
sa rencontre.
-
- Des
expositions personnelles ou collectives se montèrent, des articles
parurent. La réputation de l'artiste s'accrût. Des cours métrages
et des vidéos furent réalisés; le département "Neuve
Invention" du Musée d'Art Brut de Lausanne acheta quelques
unes des oeuvres.
- Après
de nombreuses expositions dans les Musées Français, son oeuvre
qu'il conserve assez jalousement, circule à présent dans un plus
vaste monde. Plus récemment on a aperçu son travail lors
d'échanges effectués aux Etats-Unis, à Baltimore ainsi qu'à
New-York.
Dans
son atelier-musée de Sénas, R. Reynaud n'est pas en train de bâtir une
fondation; dans la mise en ordre constamment renouvelée grâce aux
nombreuses expositions de cette profusion d'œuvres peintes et sculptées,
on peut au contraire voir le souci de conserver librement son statut
d'outsider, une volonté à la fois farouche et salubre d'indépendance et
d'autonomie, une discrète et tenace manière d'échapper aux directives
des responsables de galerie et de conservateurs de musée ainsi qu'aux
marchands.
Au
lieu d'entasser ses oeuvres dans un entrepôt, il les laisse se déployer,
il les donne à voir à qui veut bien les rencontrer. Elles sont à la
fois une offrande et une interrogation parce qu'elles n'ont pas encore
livré la totalité de leur message. Raymond Reynaud veut prolonger la
bataille et rester à l'écoute.
Sa
maison est un atelier permanent, une manière de creuset qui engage
modestement, avec les armes qui sont les siennes, une partie de notre
avenir.
Alain
PAIRE