La Grande Prieuse Dorée

Analyse faite en Octobre 2005 par Alice Anglade, sculpteur

À propos de la « Grande Prieuse Dorée » de Raymond Reynaud

Raymond Reynaud me demande de lui écrire quelque chose … J’ai déjà beaucoup écrit sur son œuvre que j’aime réellement, profondément. Je n’ai jamais eu l’occasion de parler de « La Grande Prieuse Dorée » dont je suis l’heureuse propriétaire depuis 10 ans environ.

L’œuvre est sur un chevalet, au pied de mon lit. Depuis que je l’ai je ne m’endors jamais sans l’avoir contemplée. C’est à dire que je n’y lance pas qu’un regard pour m’assurer qu’elle est là, mais que je la regarde vraiment et toujours avec un immense plaisir, une émotion qui ne tarit jamais.

« La Prieuse » est une absolue réussite et tout à fait significative du monde et du style de Reynaud. Monde et style étant bien évidemment indissociables. La Prieuse baigne dans une lumière à dominante jaune, soutenue par des touches de blanc et de rose.

Comme souvent, le corps n’oppose pas de frontières entre lui et l’extérieur. Il est aéré, dématérialisé. La chair et la dentelle de la robe se confondent. La Prieuse, blanche, est lumière. Elle est impalpable, fluide, elle est le feu de la pensée, elle traduit l’amour de la mystique ravie à elle même, abîmée dans la communication avec le divin.

Notons au passage que le Christ, dans nombre d’icônes Russes, est blanc, lui aussi. Nous avons là un exemple de la très grande culture picturale de Raymond. Son œuvre s’appuie sur l’histoire de l’Art, de la peinture. Elle s’appuie mais ne copie pas. Comme tous les vrais artistes Reynaud fait jouer son alchimie personnelle et crée une œuvre étonnante.

La Prieuse est au centre d’une architecture qui rappelle les cathèdres du moyen-âge. Mais la façon dont cette construction est traitée est presque caricaturale, réduite à un trait blanc qui devient volute baroque par endroits, comme par jeu. Raynaud a le sens de l’humour. Il travaille sérieusement mais ne se prend pas au sérieux. Ce n’est pas le moindre des charmes qu’il exerce sur nous.

La Prieuse est entourée de rosaces, comme celles des cathédrales. Elles rappellent l’ornementation fleurie du tapis qui constitue un temps d’arrêt devant la Prieuse, crée une perspective en étage subtile qui s’allie à une autre perspective, en profondeur cette fois, mettant en valeur la tête du personnage.

La perspective chez Reynaud est toujours un casse tête. Et c’est ce qui me plaît : ses tableaux à la fois simples par leurs formes et si complexes par leurs couleurs et leur perspective sont inépuisables.

Comme souvent, le corps n’oppose pas de frontières entre lui et l’extérieur. Il est aéré, dématérialisé. La chair et la dentelle de la robe se confondent. La Prieuse, blanche, est lumière. Elle est impalpable, fluide, elle est le feu de la pensée, elle traduit l’amour de la mystique ravie à elle même, abîmée dans la communication avec le divin.

Notons au passage que le Christ, dans nombre d’icônes Russes, est blanc, lui aussi. Nous avons là un exemple de la très grande culture picturale de Raymond. Son œuvre s’appuie sur l’histoire de l’Art, de la peinture. Elle s’appuie mais ne copie pas. Comme tous les vrais artistes Reynaud fait jouer son alchimie personnelle et crée une œuvre étonnante.

La Prieuse est au centre d’une architecture qui rappelle les cathèdres du moyen-âge. Mais la façon dont cette construction est traitée est presque caricaturale, réduite à un trait blanc qui devient volute baroque par endroits, comme par jeu. Raynaud a le sens de l’humour. Il travaille sérieusement mais ne se prend pas au sérieux. Ce n’est pas le moindre des charmes qu’il exerce sur nous.

La Prieuse est entourée de rosaces, comme celles des cathédrales. Elles rappellent l’ornementation fleurie du tapis qui constitue un temps d’arrêt devant la Prieuse, crée une perspective en étage subtile qui s’allie à une autre perspective, en profondeur cette fois, mettant en valeur la tête du personnage.

La perspective chez Reynaud est toujours un casse tête. Et c’est ce qui me plaît : ses tableaux à la fois simples par leurs formes et si complexes par leurs couleurs et leur perspective sont inépuisables – Alice Anglade

Le Masque Jaune n°3

Analyse faite en Octobre 2005 par Bruno Duborgel, Professeur d’Esthétique et de Sciences de l’Art à l’Université Jean Monnet de Saint Etienne (Département d’Arts Plastiques)

Extrait de l’analyse, par Bruno Duborgel, d’un masque (Masque Jaune n° 3, 1999) de Raymond Reynaud. Tiré du chapitre « Du bris et du filet. Un singulier masque-mosaïque de Raymond Reynaud », in Miroirs, fragments et mosaïques (ouvrage collectif sous la direction de J-P Mourey, Presses Universitaires de Saint-Etienne, 2005). Autorisation obtenue par Bruno Duborgel en octobre 2005, de diffuser sur le site de Raymond Reynaud, ce texte extrait de Miroirs, fragments et mosaïques.

« Voici en effet un « masque », relativement identifiable comme tel, dont pourraient participer partiellement tels et tels masques particuliers de toutes sortes, mais qui n’est précisément mimétique d’aucun d’entre eux. Un masque qui se suffit d’aménager dans sa forme en ellipse irrégulière et comme cernée d’une sorte de fer à cheval qu’on dirait clouté de cauris, une figure schématique qui semble en franchissement des règnes de l’anthropomorphe et du zoomorphe, avec formulation plastique générale de signes, d’yeux, d’un nez-museau, de cornes-sourcils, d’une grande bouche à roue dentée …

Nous advient visuellement, bien plutôt que l’image bien arrêtée d’un masque particulier, la notion mobile, sinon le concept, d’un « masque en général », comme une sorte d’effigie principielle schématisée. Le masque semble vouloir se cacher derrière ses tracés généraux, conserver au maximum ses possibles, ne pas franchir la barre au-delà de laquelle l’image virerait du côté d’une image reproductrice installée et enfermée dans des déterminations précises. »

[…] « L’ouvrage de R. Reynaud se fonde, en effet, sur un groupe de formes qu’on pourrait dire originaires et universelles – le rond, le carré, le triangle, le losange, le point, le chevron -, sur une petite géométrie de base et qui fonctionne, avec diverses intensités selon les régions considérées de l’œuvre, à mi-chemin entre l’éclosion figurative et l’affirmation de l’ornementation « abstraite ».

Des triangles s’assouplissent, s’effilent, se courbent et esquissent de possibles longues antennes ; ou se redoublent et se rejoignent par la pointe, et, de cette jonction, peuvent s’envoler des papillons schématiques ; ou s’agencent dans le canevas d’une sorte de collier à chevrons …

Un point rond blanc au centre d’un carré noir éveille un œil dans la figure géométrique … En bas, un possible cou-trachée s’annonce depuis un étagement de forme losangée associées à des triangles…Près de trente fois retentit une triade de points – noirs sur blanc, blancs sur noir, dans un rond ou un losange – et cette donnée formelle-abstraite, en même temps que telle, s’entrouvre, à peine sur de potentielles et polyvalentes images ultra-schématiques : les trois points disposés en triangle (deux en haut, un en bas) nous sollicitent un instant à la manière d’un éventuel « monogramme » ou schéma des yeux et de la bouche d’un visage, ou des seins et du sexe d’un corps, ou des cavités d’une tête de mort …

Et souvent l’image, comme pour échapper à son enfermement dans une dénotation univoque et dans un tracé trop mimétique, perturbe son identité, déstabilise sa lisibilité en laissant la figure s’oublier, se distraire ou se disperser dans des compositions de la géométrie elles-mêmes prêtes à s’autonomiser en ornements en même temps que peu ou prou ouvertes à d’autres voies d’images : ainsi à la fois retrouve-t-on « la bouche » dans ces deux tracés concentriques associés à une horizontale centrale et à des dents-triangles, et la perd-on à tourner avec ces rayons triangulaires (en outre cagoulés et voyants depuis leurs deux points blancs) d’un soleil noir denté… Se manifeste en tout cas, en tous lieux de ce « masque », une tendance, pourrions-nous dire – transposant à cette pièce de R. Reynaud des formules proposées par M. Thévoz à propos d’œuvres d’A. Wölfli – à traiter les « thèmes » en « faisant ressortir les figures géométriques dont ils procèdent : croix, cercles (…) etc. », ce qui entraîne un caractère « instable, labile » des choses représentées, un flottement de l’image et de la signification lié à ces « figures géométriques ». »

[…] « Dans l’une de ses variétés d’exercice le regard est comme enivré par le déchaînement de petits éclats, par le crépitement du fragmentaire. Il est débordé par le multiple vécu comme quasiment incontrôlable, presque anarchique. La mosaïque se livre alors comme une sorte d’averse affolante, de fructification innombrable d’éléments, de fractures et de fractionnements où se désintègre l’unité. Mais l’œil se reprend, ressaisit l’unité distincte et cernée de chaque cellule et la rapatrie, de proche en proche, dans des ensembles ordonnés, la restitue, la retrouve coordonnée à d’autres, concourante avec d’autres.

Endiguement relatif du confus, interférence du sentiment de démultiplication-dispersion et de celui d’un tissu réunificateur. La mosaïque dérivait du côté du triomphe de l’épars, de l’hétérogène, de la discontinuité et du multiple, jusqu’à flirter avec le modèle du patchwork libéré de l’exigence de cohérence et de composition. Voici maintenant que la perception rétablit, d’une région à l’autre de la pièce, des liens entre les petites unités, des groupements d’unités ; des « tesselles » peintes, carrées, s’organisent ici en damier, et là des triangles se solidarisent dans l’unité d’un rayonnement denté ; ailleurs de multiples atomes formés de petits ronds blancs frappés de trois points noirs s’affirment constitutifs d’une même litanie visuelle cerclant « la grande tête » ; etc. Le brouillage, précédent, de la perception, ne s’est pas complètement dissipé, mais il n’est plus prédominant ; s’y substitue l’ambivalence de la ruche, pourrait-on dire, c’est à dire la prolifération associés aux trames et géométries alvéolaires. Se donnent ensemble la bourrasque des fragments et le réseau de leur filet. La perception se remet ainsi en ordre, opère la reconquête des ordres structurels de la mosaïque, et les perd à nouveau, se brise, dilapide ses regroupements et revient aux myriades de la mosaïque désintégrée. Flux et reflux dynamiques, tangage du voir entre toutes ces polarités.

Nouveau basculement provisoire : le regard intensifie son effort de résistance aux pressions du multiple, du désordre et du discontinu ; l’œil renforce son travail d’identification des régularités et passe ainsi maintenant à l’autre extrême de sa navette, au relevé d’un ordonnancement généralisé qui assure une unité tissulaire intense. Chaque petite unité alvéolaire, en effet, se révèle alors non plus isolée, séparée, indépendante à l’intérieur d’une sorte de brasier de fragments erratiques, mais au contraire soumise à telle ou telle modalité de vigoureux principes d’organisation qui règlent jalousement son appartenance à un ensemble sériel, sa participation à des alternances, des redoublements, des dédoublements, des rythmes, des emboîtements gigognes, etc. Ici, des demi-cercles se redoublent en s’inversant ; là, la structure concentrique de la bouche, elle-même englobée dans l’ellipse de la grande tête, se réinsère dans la solidarité de rimes plastiques ; ailleurs, des triangles, des carrés, des losanges, des chevrons, etc., sont ressaisis dans une structure sérielle et rythmée. Et chaque élément de la composition répond au principe d’une distribution symétrique systématique qui le contraint à sa répétition de part et d’autre de l’axe vertical médian. Bref, tout est lié, répliqué, répété, correspondant, relié donc, au sein d’une chambre d’échos visuelle en réalité ultra-méthodiquement – follement ou obsessionnellement pourrait-on dire – ordonnée.

Aucune fraction qui ne soit à sa place obligée et solidaire de ces répétitions symétriques à l’intérieur de cette tectonique du dessin à rigueur quasi maniaque. A l’ivresse précédente des perceptions emportées par le primat de la polarité du multiple et du foisonnement « anarchique » (jusqu’à provoquer une lecture en presque patchwork), fait place celle, inverse, afférente à cette saisie d’un réseau, d’un filet, d’une structure réticulée (réticulum, petit filet) rapportant sans concession toute la diversité à ses principes d’organisation et nous conduisant aux lisières du puzzle-totalité. Bien vite cependant, le curseur de la perception se déplace à nouveau ; l’effort d’extraction de la pure totalité réticulée se relâche, nous reconduisant aux ambivalences et degrés de tension, dans l’entre-deux des pôles de la totalité-continuité-unité et du fragmentaire-discontinu-multiple.

Mais le métissage concerne aussi les relations des catégories générales « d’image » et d’ornement non-figuratif. Ici les éléments géométriques simples interviennent à la fois comme éléments constitutifs de l’image relative qu’ils engendrent et comme ce qui met en péril celle-ci en la maintenant toujours susceptible de se résorber ou dissoudre dans une sorte de résille abstraite géométrique complexe. Notre masque-mosaïque converge vers la délivrance d’une image au moins schématique qui lui donne unité, et aussi bien il demeure tenté par l’autre modèle, celui de l’unité (elle-même menacée par son contraire, ou ambivalente, nous l’avons vu) du tapis très structuré et à motifs purement formels.

Ces deux modèles ici conjugués, renvoient d’ailleurs à ceux de la mosaïque (au sens propre), antique notamment, dont le dessin peut être de nature abstraite géométrique, ou de nature figurale, ou encore relever des deux registres (image encadrée de frises non-figuratives, ou associées, selon divers dosages, à de purs motifs abstraits). A nouveau le regard vit le masque selon plusieurs modalités.

L’étrange visage s’avance plus insistant, on identifie les yeux, le nez, la bouche, etc., et, passant de la vue frontale à la vue latérale de l’œuvre, on parvient à l’individuation maximale de la figure ; mais le mouvement inverse réinvite à une certaine résorption de la figure dans l’ensemble de la mosaïque où tend à se déliter l’image. Tout à tour s’offrent l’émergence et l’involution de la figure, son repli plus ou moins partiel, ou sa « disparition » dans le filet cellulaire (comme redeviendrait presque incognito le masque imbriqué dans le tapis). Le regard joue ainsi cette musique visuelle tantôt en clef figurale, tantôt en clef décorative abstraite, et le plus souvent dans l’interférence de ces deux claviers. Et ceux-ci nous renvoient à deux aspects de l’exercice du schème de la mosaïque, de son fonctionnement par rapport aux régimes de l’unité-totalité du multiple par le moyen de l’image et de l’unité-totalité par le moyen du dessin géométrique organisé, en même temps que par rapport aux pôles de la composition et de la décomposition. »
– Bruno Deborgel